Le récit des détenus politiques relaxés fait froid dans le dos. Des pratiques qui rappellent l’esclavage mais cette fois-ci, ce ne sont pas les Français, mais des Sénégalais de souche qui sont les bourreaux. Des cellules pleines à craquer où certains restent debout toute la nuit pour laisser les plus jeunes dormir assis.
Tous victimes d’une série d’arrestations démarrée en 2021, ils auront passé pour certains plus de 2 ans en prison pour un post sur les médias sociaux, pour avoir manifesté contre le gouvernement de Macky Sall, pour avoir été un membre du parti de l’opposition Pastef ou tout simplement pour avoir eu l’audace de vaquer à leurs occupations dans un pays qui se réclame être démocratique.
Les accusations se ressemblent, troubles á l’ordre public, actes à compromettre la sureté de l’état, participation à une manifestation non autorisée, terrorisme… La liste est longue.
L’un des détenus relaxés explique avoir les mêmes chefs d’accusation que le leader de l’opposition sénégalaise Ousmane Sonko à l’exception du vol. Sonko arrêté en juillet 2023, compte sept chefs d’accusation :
1- Appel à l’insurrection,
2- Association de malfaiteurs,
3- Atteinte à la sureté de l’État,
4- Complot contre l’autorité de l’État,
5- Actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves,
6- Association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste,
7- Vol de téléphone portable.
Durant la vague de libération entamée le 15 février 2024, plus de 300 détenus ont été libérés sans explication et ordonnés de quitter la prison de Rebeuss. Laissant derrière plus 1,000 citoyens sénégalais entassés par centaines dans des cellules de 10 m2. Bien qu’ils soient heureux d’être sortis, les relaxés ont fait la promesse, à ceux qu’ils appellent leurs frères qu’ils ont laissés derrière, de les sortir de là.
Seydi Gassama, d’Amnesty International, déplore le nombre de détenus politiques sous le gouvernement de Macky Sall qu’il estime au mois d’octobre dernier à 1500.
« Plus de 60 Sénégalais ont été tués depuis 2021 et 250 arrêtés depuis Samedi, » a déclaré le spécialiste en droits humains. « Il y a des mineurs qui sont détenus sans raison. L’un d’entre eux a eu son brevet d’études en prison. Une requête pour sa libération avait été introduite mais elle avait été rejetée. Ce n’est pas une question de justice. Ils veulent seulement les humilier et créer une psychose dans la communauté pour que personne n’ose sortir ou protester. La manière dont les policiers se comportent nous rappellent le temps des colons. Leur attitude est la même que celle de la police coloniale. »
Gassama ajoute que : « le problème c’est Dakar. C’est à Dakar où on envoie systématiquement les gens en instruction parce que le pouvoir sait que si les gens vont en jugement, le juge va les libérer donc il les envoie en instruction. En instruction, ils peuvent rester 6 mois sans être entendus dans le fond et sans possibilité de demander une liberté provisoire. Le parquet de Dakar et les juges d’instruction à Dakar ainsi que 3 ou 4 cabinets à Dakar, à Pikine et à Rufisque sont dans une logique de punir les manifestants. »
Pour ceux qui ont fait un séjour forcé à Rebeuss, ou au Cap Manuel, ce sont des vies changées à jamais, un calvaire sans non vécu pendant des mois et pourtant ces derniers sont plus que jamais motivés à continuer à se battre pour que le gouvernement de Macky Sall parte et que les responsables soient jugés pour les abus commis.
L’ancien détenu politique Diop Taïf considère cette période comme étant l’un des moments les plus sombres de l’histoire du Sénégal. Il milite pour les détenus depuis sa sortie et n’a pas manqué durant son discours devant la presse de porter l’attention sur plusieurs citoyens détenus gravement malades mais que l’administration pénitentiaire refuse de libérer notamment le cas d’Ahmet Missane, Mor Seye, Mor Cissé, et Azoura Fall.
Diop Taïf a aussi souligné le calvaire que vivent les familles.
« Ces femmes doivent s’aligner à 5h du matin devant la prison de Rebeuss pour voir leur enfant dans l’après-midi, aux environs de 14h-15h. Il y avait la dernière fois, un parent venu de la région de Tamba, à qui l’on n’a pas voulu remettre de permis de visite. »
« Et lorsque les détenus découragés par le discours de Macky Sall repoussant les élections se sont agités au sein de la prison, l’administration pénitentiaire a jeté un gaz lacrymogène dans une cellule déjà surpeuplée, » a-t-il rajouté
Lamine Niasss, lui un Tik-Toker de Mbour d’une vingtaine d’années avait été arrêté à Dakar le 16 mars 2023 et relâché le 29 janvier 2024. Il aura passé 314 jours en prison, et maintenant se plaint de problèmes de dos pour avoir vécu pendant presque un an dans une cellule surpeuplée. Il explique avoir choisi de rester et de se battre pour un lendemain meilleur dans un pays où l’état censé les aider, les emprisonne eux, d’innocentes personnes, avec des tueurs, et des vendeurs de drogue. Il réclame son droit constitutionnel de manifester.
Imam Alioune Badara Ndao a été intercepté aux environs de Colobane à quelques jours d’un voyage à l’étranger. Questionné par la police, il leur montre les documents prouvant qu’il venait d’un rendez-vous mais ces derniers ne le croient pas. Il sera torturé et jeté en prison pendant 8 mois. Lors de son arrestation, sa femme était enceinte de 5 mois. Son enfant naitra pendant son absence. Il aura perdu son billet et l’investissement lié à son voyage. Et depuis sa sortie, il fait des aller-retours à l’hôpital.
« Toute personne sortant de la prison devra aller à l’hôpital pour se soigner. Nous sommes tous malades et nous n’avons plus d’argent. J’étais censé voyager. Tout l’argent investi est parti en fumée. On m’a arrêté, mis en prison pendant 8 mois et un beau jour ils me disent de partir. Ils me disent que je n’ai rien fait. »
Mohamadou Mansour Fall, lui s’est fait coincer par la police à la Cité Gorgui, alors qu’il vaquait à ses occupations. Il sera conduit au commissariat de Ouakam avant d’être déferré le 21 mars, 2023 laissant derrière lui un poulailler de 1,500 têtes qui vont toutes périr en son absence.
Mohamed Tamba porte un bracelet électronique après avoir fait 11 mois en prison. L’étudiant s’est fait appréhendé le 16 mars, 2023 par un officier qui lui confesse qu’il ne sera libéré qu’en 2024. Son école se trouve à Diourbel mais son bracelet électronique limite ses mouvements à Dakar. Avant son arrestation, il avait l’ambition de passer son examen en 2023. Il considère son droit à l’éducation bafoué.
Cheikh Oumar Kassé a fait 8 mois à Rebeuss. Il est interpellé par la section de recherches de Colobane alors qu’il rendait visite à la famille de la détenue politique Ami Dia. C’est dans la chambre du frère de cette dernière qu’il sera brutalisé puis embarqué et accusé de participation à une manifestation non autorisée et d’actes à compromettre la sureté de l’état. Il considère son arrestation une injustice.
« Nous relaxer n’est pas un exploit, » s’est-il acclamé. « On n’aurait jamais dû être arrêté. »
Résidente de Colobane, Anta Laye Fall s’est retrouvée à la maison d’arrêt des femmes pour être passée par le monument de l’obélisque sur son chemin vers Ouakam et pour avoir dans son sac à main un bracelet du parti Pastef. Elle sera accusée de participation à une manifestation non autorisée et trouble à l’ordre public. Anta Laye Fall est tombée malade en prison 2 jours avant le discours du président abrogeant le décret convoquant le corps électoral. Libérée il y a 3 jours, elle est maintenant diabétique et n’arrive pas à fermer l’œil.
Adama Sy Massané, de la section sociale de Pastef a répertorié 305 détenus relaxés dont deux mineurs. Son équipe chargée d’apporter un soutien aux membres incarcérés et à leur famille explique que certains, sortent de prison, paralysés.
Linguère Wouly NDiaye coordinatrice de Pastef Linguère avait été cueillie en juin 2023 chez elle en présence de ses deux jeunes enfants. Elle sera forcée par la police de les laisser derrière sans supervision et sera plus tard accusée d’appel à l’insurrection et de participation à une manifestation non autorisée avant d’être libérée cette semaine.
Un jeune tailleur guinéen revenu de son pays après l’accouchement de sa femme s’est fait arrêter deux jours plus tard, au centre-ville de Dakar, en mars 2023. Il restera en prison pendant 6 mois et 20 jours accusé d’association de malfaiteur et de participation à une manifestation non autorisée.
« Je viens de guinée pour travailler. Je travaille avec Adama Paris. La secrétaire m’a appelé pour me dire qu’il y avait des manifestations et qu’il serait plus prudent que je rentre. Sur le chemin du retour, je me suis fait arrêté. J’avais 100.000 CFA sur moi et un de mes téléphones. Ils m’ont rendu mon téléphone mais je n’ai pas vu les 100.000 CFA. Ils m’ont relâché mais j’ai un bracelet électronique au pied qui me fait mal et j’ai le pied gonflé. »
Aissatou Gadiaga, elle, a son fils à Rebeuss depuis 9 mois. Il avait été interpellé sur le chemin du travail. Elle vient de la banlieue tous les jours pour le voir et lui apporter à manger ou des vêtements. Elle prie pour qu’il soit relâché. Les aller-retours sont coûteux et elle s’inquiète pour son fils.
Ndeye Maguette Thiam, Conseillère municipale et membre de Taxawu Dakar a vu impuissante son fils, membre du Pastef se faire arrêter en milieu de nuit.
« Ils ont cassé la porte aux environs de 3h-4h du matin pour arrêter mon fils parce qu’il avait organisé une fête pour l’anniversaire d’Ousmane Sonko, » s’est écriée Mme Thiam « Plusieurs membres de ma famille étaient membres de l’APR mais Macky Sall les a perdus le jour où ils ont arrêté mon fils. » Elle précise recevoir des menaces depuis.
Jacques Habib Sy, du cabinet d’Ousmane Sonko indigné par le climat actuel du pays a déclaré durant la même conférence de presse :
« J’ai 78 ans mais je n’ai jamais vu ce qui se passe actuellement dans ce pays. Nous avons affaire à une dictature. 2.000 prisonniers politiques. Je n’ai jamais vu en Afrique un pays emprisonner autant de ses fils. »
Mamadou Dia, lui vient d’être libéré. Il dit avoir été torturé et vécu dans des conditions difficiles mais il n’a aucun regret.
« Ce n’est pas facile d’avoir quelqu’un comme Ousmane Sonko, » s’est exclamé Mamadou Dia « Nous sommes chanceux de vivre en son temps. C’est injuste ce qui nous est arrivé parce que nous n’avons rien fait de mal. Le juge Babacar Diop m’a dit qu’il sait que nous ne sommes pas des bandits mais la décision vient d’en haut et qu’il n’y peut rien. »
Arrêté le 31 juillet, il était aussi accusé d’avoir causé, le 1e Aout, un incendie sur la S2 de Yoff.
Souleymane Djim, membre du collectif des familles des détenus politiques est révolté par la situation.
« Les détenus vivent depuis 2 ans une situation invivable. Les parents des détenus vivent depuis 2 ans une situation insupportable, » dénonce Souleymane Djim
« Macky Sall a fait haute trahison à la fin de son mandat et il doit être poursuivi pour cela. On n’a jamais vu un gouvernement aussi cruel envers son peuple. Les Sénégalais lui ont tout donné. Depuis sa naissance tout ce qu’il gagne vient du contribuable sénégalais : directeur, ministre, président de l’Assemblée nationale et aujourd’hui président. Tu n’as jamais créé une entreprise qui te permet d’avoir des ressources. Tout ce que tu as gagné jusqu’au jour d’aujourd’hui vient du contribuable sénégalais mais c’est toi qui te retrouves à torturer ces sénégalais-là, à bâillonner ce peuple-là. Nous ne nous laisserons pas faire. »
Pour les quelques centaines de détenus relaxés, depuis le 15 février, le temps, l’argent, la famille et les opportunités qu’ils auront perdus le sont à jamais mais l’espoir de voir un Sénégal meilleur les pousse à continuer à se battre. Ils partagent le même slogan : le combat continue.
Quant aux mille détenus laissés derrière et qui n’auraient jamais dû être arrêtés et emprisonnés dans un pays de droit, ils attendent avec impatience d’être libérés sans conditions.